Voyage et écriture
par Claire Antoine
Paul Blanqué est certes bien connu des apaciens, ne lui doit-on pas la nouvelle présentation du P.A.V. et le site internet semellesdevent.net, qu'il a ouvert à l'APAC et qui est devenu un outil d'information et de communication désormais incontournable...
Cependant, c'est un autre aspect de l'activité de Paul Blanqué, qui a été sollicité ce jour-là. C'est l'auteur qui était présent, le jour de l'Été du livre, à la librairie Hisler-Even, au cœur de la cité messine. Devant un public amical, ce dernier a évoqué avec beaucoup de sincérité et de précision les quatre ouvrages qu'il a publiés, chez Maël éditions.

Des lectures de passages significatifs de l'écriture de Paul Blanqué, tantôt détaillée et descriptive, de type reportage, tantôt émouvante, pudique ou drôle, pour parler de sentiments, ont permis, grâce au talent de Bernard Appel, Geneviève Kormann et Maïté Petit, l'articulation harmonieuse de l'après midi.
Et pendant une heure et demie, nous sommes entrés dans le monde de Paul Blanqué, celui qui se dessine de livre en livre et qui, comme un de ses personnages, "tisse la toile des coïncidences".

Le café littéraire, en deux parties, a successivement évoqué l'Inde puis la Chine.
L'Inde avec les trois premiers livres de l'auteur, publiés entre 1999 et 2004, une trilogie* où il raconte l’un de ses voyages, en compagnie de quelques amis, au petit Tibet, au Ladakh. Leur but : un trekking dans l'Himalaya. Sans négliger l'aspect pratique, avec une check-list, à la fin du premier ouvrage, pour que le voyageur désireux de se rendre en Inde lui aussi, n'oublie rien d'indispensable dans ses bagages, et des cartes, que l'on retrouve dans chacun des livres, pour que les lecteurs ne se perdent pas en chemin, il s'agit bien là d'un voyage initiatique. Une recherche d'absolu, chaotique, – entre idéal, et réel concret et déceptif, désir et révolte – mais qui portée par une force vive intérieure, finit en acceptation joyeuse et complice, malgré une toile de fond menaçante. 
Une instance narrative a redistribué les cartes d'identité des personnages. Qui est qui ? Qui parle ? Difficile de le savoir. Et pas forcément utile ni intéressant. Même si les trois premiers ouvrages de Paul Blanqué peuvent assurément se lire comme un carnet/récit de voyage chronologique, c'est aussi une recherche de relations vraies, de cœur à cœur, électives, romantiques avec des amis, avec des gens rencontrés en chemin, avec la nature, le paysage et surtout, peut-être, avec soi-même.  À rebours l'auteur insiste sur les ruptures, les inadéquations,les incompréhensions, quand la nature inhospitalière conduit à la souffrance du groupe de voyageurs qui, malmené, menace de se désintégrer. Et là le narrateur se questionne : "Avons-nous mal prononcé, mal compris ? Est-ce un problème de langue ? Maudite soit la barrière du langage qui empêche de savoir." Dans cette trilogie où la femme est omniprésente, c'est Valérie, une des deux femmes du groupe, qui va servir de traductrice, avec ses doutes et ses colères. La nature aussi est femme, parfois difficile d'accès, dévoreuse et dangereuse.

L'auteur ne passe pas à côté des relations ambiguës entre le touriste et le pays qu'il visite et cherche à comprendre, à s'approprier... Ses personnages ne sont pas trop à l'aise avec les "photos obligatoires" et les attitudes désinvoltes de certains voyageurs. Paul Blanqué, devant nous, développe toutes les pistes qui lui sont proposées par l'animatrice, Claire Antoine, avec beaucoup d'émotion et d'humour quand il est amené à se souvenir, même s'il est parfois des circonstances, où comme il le dit lui-même, l'humour n'est plus possible.Et vient le moment d'aborder “La sacrifiée de Yuan Shao”, dernier ouvrage de l'auteur, paru en 2010. Il y passe clairement d'une écriture à l'autre, du récit de voyage au roman. En couverture, une petite fille en larmes, engoncée dans un lourd costume... Nous sommes en Chine. A Metz, à l'arrière plan, sous le regard des invités du Café littéraire, Paul Blanqué a accroché une série de magnifiques photos qu'il a prises sur le terrain. Il les commentera, pour notre plus grande satisfaction. Elles font partie d'une exposition qu'il promène à travers la France. Un talent de photographe que le public messin ne lui connaissait peut-être pas.

Sous-jacent, un fait de société, une réalité choquante pour un occidental, celle du fils roi... du fils unique, et donc du sort tragique réservé à qui a le malheur de naître fille.
Le roman développe l'histoire d'une jeune fille, Dominique Dourdan qui, à 18 ans, à sa majorité, revient seule en Chine. Sa mère avant de mourir lui a demandé de remettre une lettre à un certain Henry Louyot... Une d'enquête, avec une montée en puissance très bien orchestrée, un chemin semé d'embûches, de péripéties. Pour l'héroïne, une recherche, de soi, de ses origines avec son content de déceptions, d'attentes insatisfaites, d'interrogations sans vraies réponses. La violence du réel entre dans le roman par l'intermédiaire de titres de presse ; et les thèmes qui hantent l'auteur s'entrelacent : la femme, l'union de la nature et de l'homme, des corps et des sentiments.
Il faudra que Dominique rencontre beaucoup de monde pour y voir enfin clair. Les techniques d'écriture permettent aux lecteurs de s'identifier à la jeune fille qui veut savoir, qui sait, confusément, qu'il y a quelque chose à connaître, à comprendre pour qu'elle trouve la paix. Quand, à un moment crucial du roman, elle entre en transe, ni elle ni le lecteur n'en sortent tout à fait indemnes.

Paul Blanqué nourrit son propos d'anecdotes confirmant ou approfondissant tout ce qui fait la force descriptive de son livre, nous entraînant au plus près du quotidien chinois, dans les quartiers commerçants, au marché avec des vendeurs de pastèques, des dentistes, des coiffeurs dans la rue à même le sol ou sur les pavés. Une plongée dans les habitudes, le rite de la négociation, mais aussi l'urbanisation agressive qui a transformé radicalement la vie des habitants. Un contexte historique, marqué encore par Mao. Nous apprenons, entre autres, pourquoi en Chine, il n'y a plus aucun oiseau autour des champs.
Et Paul Blanqué d'évoquer quelques-uns des personnages de son roman. Tous sont attachants : Li Hong, l'ange gardien de l'héroïne, un chinois qui parle le français mais qui refuse la plupart du temps de répondre à ses questions et lui conseille la patience. La sorcière, "suan min". Pour le passé, un père froid et brutal, escorté d'une accorte maîtresse qui est aussi son infirmière ; une mère, résignée qui vit dans un monde parallèle. Sans compter Madame Yu qui parle un français littéraire, Igor "le commandant", mi-russe, mi-chinois, et Henri Louyot, un témoin du passé qui est devenu une épave.

Le public n'a pas boudé son plaisir, Paul Blanqué a su le captiver. Le dialogue a continué, autour de la table où l'auteur a dédicacé de nombreux ouvrages et plus tard aussi, dans la soirée, pour ceux qui le souhaitaient, autour d'un délicieux repas.
 
* Dans l'ordre : "Sur les pistes du Petit Tibet", roman d'un voyage en terre tibétaine ; "Ôm", roman d'un voyage au cœur de l'Himalaya ; "L'œil de Shiva", roman d'un voyage entre deux mondes.
Claire Antoine.
  
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